Tranche De Vie : Johanne Defay - Stratégie et travail

12 FÉVRIER 2021

 

« Tu es surfeuse mais sinon, c’est quoi ton travail ? », voilà une réflexion que Johanne pouvait entendre il n’y a encore pas si longtemps. Derrière un mode de vie de rêve, une culture forte et des allures de carte postale, faire partie de l’univers du surf requiert de nombreux sacrifices et beaucoup de discipline. Johanne a su faire  preuve au quotidien et depuis de nombreuses années d’adaptation, de stratégie et d’une grande expérience pour être une sportive professionnelle accomplie. 

Basée à La Réunion depuis l’enfance, c’est à 8 ans qu’elle prend ses premières vagues sur l’un des nombreux spots qu’offre l’île. Dès l’âge de 13 ans, Johanne est en lice sur des compétitions qui requièrent déjà une exigence et un niveau professionnel. Elle décroche son premier titre continental et devient Championne d’Europe Junior en 2009 mais aussi en 2011 et 2013. Ces performances exceptionnelles la mèneront la même année et à tout juste 20 ans au titre de championne d’Europe en catégorie seniors.

En parallèle des grands championnats – France, Europe et Monde – en Junior, Johanne cumule aussi les rendez-vous internationaux en prenant part au circuit professionnel de la World Surf League (WSL), la ligue privée américaine qui réunit les meilleurs surfeuses et surfeurs au monde. Ce calendrier sportif chargé et varié lui permet d’engranger rapidement de l’expérience. Dès 2010, elle débute les World Qualifying Series (WQS), le palier essentiel à franchir pour accéder à la catégorie élite de la WSL et au circuit professionnel le World Championship Tour (WCT), qui réunit les 17 meilleures surfeuses de la planète. Johanne passe le cap et intègre le WCT à l’issue de sa superbe saison 2013. Elle sera sacrée « Rookie of the year » dès sa première saison en WCT en 2014 et terminera 8ème du classement général. Des débuts remarquables et remarqués pour Johanne au sein de l’élite mondiale féminine, d’autant plus qu’elle est l’unique représente française et européenne d’une discipline dominée par les américaines, les hawaïennes et les australiennes. (Ndlr : en héritage des origines hawaïennes du surf datant du XVème, la WSL distingue les surfeurs et surfeuses des Etats-Unis et celles et ceux ressortissants de l’archipel d’Hawaï).

Après 7 années au plus haut niveau en circuit WCT, dont une 5ème place au général en 2016 et 2018, elle connait la valeur du succès : énormément de travail et d’abnégation. Elle a appris à lire et anticiper la trajectoire de l’eau, voir loin à l’horizon. Sa prochaine échéance sportive majeure, en 2021 ce sont les Jeux de Tokyo. Elle espère aussi être du côté de Tahiti lors des Jeux de Paris 2024, sur la baie de Teahupo’o, connue pour sa vague particulière et très puissante, pour représenter la France.

Paradoxalement, les non-initiés à la discipline lui font moins de remarques depuis que le surf est au programme des Jeux olympiques en tant que sport additionnel. Le statut universel que procure la qualification olympique pour une sportive n’a pas d’équivalent, et le public s’en retrouve davantage impressionné. « Aujourd’hui j’ai 27 ans et on commence à me connaître » témoigne-t-elle.

Cependant, le surf peine à s’ouvrir au grand public en France alors qu’il y a des subventions publiques pour accueillir une étape du WCT en Australie. Néanmoins, le milieu connaît de nombreuses avancées ces derniers temps. Notamment avec l’ouverture des droits Télévisuels de la WSL suite à un partenariat global Apple TV, la diversification des partenariats de marques, et l’accompagnement sportif des athlètes français par la fédération, depuis que le surf est au programme des JO. Le surf se retrouve même précurseur avec la distribution paritaire du « Prize money » entre femmes et hommessur toutes les étapes du WCT. Une avancée qui est encore loin de faire légion dans le monde du sport.

Toutefois, le surf professionnel est un sport où la notion d’incertitude est constante. En témoigne sa victoire en WCT sur l’étape d’Uluwatu (Indonésie) en 2018, c’est en effet à la dernière minute que Johanne a pu surfer sa meilleure vague et ainsi célébrer son succès en demi-finale et en finale.

C’est un sport « abstrait », où la notion de temps n’est pas la même que dans d’autres sports. « Le surf est assez stratégique ! […] Pour avoir les meilleurs vagues, il y a des tactiques qu’il faut adapter aux conditions et aux concurrentes » selon Johanne. L’expérience sur le terrain exige une capacité d’adaptation constante tant les conditions à prendre en compte sont importantes. « Tu peux apprendre à surfer un type de vague et ne pas forcément savoir le reproduire sur d’autres ». De la même façon, en raison des conditions climatiques variables, les athlètes n’apprennent qu’au dernier moment lorsqu’une session de surf va démarrer, les compétitions sont donc étalées sur plusieurs jours.

Pour gérer ces spécificités, Johanne se focalise exclusivement sur ce qu’elle peut contrôler et opte pour une forme de « lâcher prise », notamment pour optimiser son niveau d’énergie et se recentrer. Ainsi, la française gère sa préparation physique et mentale en mettant l’accent sur ses niveaux d’énergie comme indicateurs principaux dans la durée. Elle s’occupe également de tous les aspects logistiques qu’exigent sa discipline (transports ; logement ; types de planche), et se déplace avec un staff très réduit ou seule : « Je suis en déplacement 9 mois sur 12 depuis mes 20 ans, la gestion de ces paramètres représente l’autre face de mon quotidien sportif ».

Ces notions transposables au monde du Management, Johanne les emploie aussi dans sa vie personnelle, notamment dans la relation avec ses sponsors, et compte bien aussi les mettre à profit en entreprise. Sa gestion de carrière s’assimile à celle d’une entreprise, et elle a déjà acquis de nombreux soft skills transposables à sa reconversion. Son projet après sa carrière de surfeuse est de lancer une activité liée au surf dans le Sud-Ouest de la France avec son conjoint.

Depuis septembre 2020, elle est étudiante de l’Executive Master Management Général Online à emlyon business school. Elle est également inscrite au programme « Champion de Sa Vie », formation à la prise de parole en public initiée par le service Sport Makers emlyon,pour se donner les moyensde préparer au mieux son après-carrière sportive.

Elle est également depuis l’an dernier athlète du dispositif Sport Factory de la FDJ, un partenaire majeur du Sport Makers emlyon, où 27 athlètes – à l’instar de Mathilde Gros (Cyclisme sur piste) et Magda Wiet-Hénin (Taekwondo), également étudiantes à emlyon – sont accompagné.e.s sur le plan sportif et académique. Ce programme leur permet de préparer plus sereinement leurs grandes échéances sportives, tout en anticipant l’après-carrière, et en poursuivant des études supérieures.

« Les Sportifs de Haut Niveau sont tellement concentrés sur leurs performances sportives, qu’il est de notre devoir de les accompagner à prendre du recul, exprimer leur potentiel et mieux se projeter sur leur avenir professionnel. D’une certaine manière, développer leur employabilité après le sport grâce à nos programmes de formation, c’est un peu notre façon de les remercier de se consacrer à leur pratique sportive et de nous faire rêver !» souligne Mickaël Romézy, Directeur Sport Makers emlyon business school.

Johanne se remémore « Personne ne me demandait si je voulais faire quelque chose à côté pour poursuivre mes études » alors qu’elle avait déjà entrepris des démarches. Elle qualifie le dispositif mis en place par la FDJ Sport Factory comme « La main tendue que j’attendais depuis un moment », discours symptomatique d’une société où l’on a longtemps pensé Sport de Haut Niveau et études supérieures incompatibles.

Après une saison 2020 jonchée d’annulations sur le WCT, la saison 2021 a débuté en décembre avec la compétition de Maui Pro à Hawaï. Johanne s’incline de peu en 8ème de finale face à l’australienne Tyler Wright. Cette dernière surfera sur le succès jusqu’en finale pour son retour fracassant à la compétition en remportant cette première étape du WCT féminin. Après cette parenthèse hawaïenne, les deux prochaines étapes du Women’s Championship Tour – à Hawaï et en Californie (USA) – sont d’ores et déjà annulées ou au mieux reportées.

L’incertitude est toujours au premier plan pour la suite de la saison. En attendant la reprise du calendrier sportif, Johanne met à profit ses capacités d’adaptation et sa gestion de l’incertitude pour avancer côté académique et rester concentrée sur ses nombreuses échéances à venir. Espérons pour Johanne et le monde du surf, que la compétition reprenne rapidement !

 

Depuis septembre 2020, Johanne defay est étudiante au sein de l’Executive Master in Management General Online afin de développer son employabilité.

 

 

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