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La pleine conscience : Utopie ou révolution managériale ?
08 JUIN 2017
La pleine conscience : Utopie ou révolution managériale ?
Technique de méditation, philosophie ou véritable mode de vie, la pleine conscience, pratique ancestrale issue du Bouddhisme, rencontre actuellement un regain de notoriété qu’il est intéressant de comprendre et d’analyser. Elle a pour objectif de recentrer les mouvements de l’esprit sur l’instant présent tout en acceptant de ne pas juger les expériences vécues. Alors simple effet de mode ou véritable disruption dans les méthodes managériales ? C’est ce que nous tenterons ensemble de décrypter.
La méditation, émancipateur organisationnel ?
La pratique de la pleine conscience utilise certes la technique de méditation mais induit également un état d’esprit à adopter. L’acceptation du réel, la patience, le laisser-aller et la tolérance vis-à -vis de soi et des autres sont des prérequis indispensables. L’exercice quant à lui, consiste à se concentrer sur le souffle afin de ne pas sauter d’une pensée à l’autre. Le tout, en se focalisant sur l’essentiel, ce qui libère une énergie positive et ouvre le champ du questionnement intérieur. L’abstraction cognitive opérée par la méditation autorise alors la libération d’espaces de calme entre les émotions accumulées, ce qui améliore considérablement notre quotient émotionnel et par extension nos relations interpersonnelles.
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Véritable « stress-killer », la pleine conscience favorise la diminution des risques cardio-vasculaires, augmente la qualité de notre sommeil et a même démontré une amélioration dans notre vie sexuelle. La pléthore de bénéfices engendrés par cette activité trouve désormais un écho retentissant au sein de la science et plus récemment de l’organisation.
Les spécialistes ont prouvé à travers les neurosciences que notre cerveau passe 47% du temps à errer entre les événements passés que l’on ressasse et les événements à venir que l’on appréhende. Ce vagabondage cérébral serait l’un des premiers facteurs générateurs de stress. En catalysant nos mauvaises émotions, il nous conduit souvent vers des chemins querelleurs et peu productifs.
Mais peut-on s’arrêter de penser ? La réponse est non. Cependant, donner pleinement l’importance à l’instant présent renforce notre concentration et libère notre potentiel créatif. Contrôler ses émotions peut donner des résultats remarquables en matière de réflexivité et de développement. C’est ce que tente de nous expliquer le Dr Shapiro à travers sa maxime : « what we practice grows stronger ». Si nous pratiquons la frustration, la colère ou la honte nous serons dominés par ces émotions jusqu’à qu’elles s’initient dans notre quotidien. En revanche, si nous luttons et cultivons la tolérance, la patience et la maîtrise de soi, nous deviendrons plus stables, plus aptes à nous adapter aux mutations de notre environnement.
Ce qui est réalisé lorsque nous méditons est propre à chacun. La pleine conscience ne souffre pas de dogmes, elle est un état cognitif à atteindre et ne possède pas de règles préalablement dictées. Tout le monde peut la pratiquer, « on peut méditer partout, tout le temps, même quelques secondes, simplement en respirant » nous explique le moine Yongey Mingyour Rinpotché. Ce qui devrait rassurer quelques sceptiques au regard de la complexité de l’exercice.
L’utilisation de la pleine conscience dans l’entreprise apparaît donc aujourd’hui comme un levier de bien-être et de performance. Différents programmes sont proposés afin d’aider le déploiement de celle-ci au niveau organisationnel. On retrouve le Mindfulness Based Stress Reducation (MBSR) développé par le professeur Jon Kabat Zinn qui est l’une des méthodes les plus célèbres. Sa réalisation nécessite de créer des groupes d’une dizaine de personnes volontaires. Lors d’une période allant de deux semaines à quelques mois, le groupe se réunit durant son temps de travail, afin de méditer, réfléchir sur les états ressentis vis-à -vis de soi comme des autres tout en adoptant une posture de tolérance et d’indulgence. Les ateliers durent environ deux heures et doivent être suivis d’une pratique individuelle régulière. Des applications existent à ce sujet, tel que Headspace qui propose des exercices de relaxation et de méditation pouvant accompagner la pratique de pleine conscience hors des séances collectives.
Ainsi, on pourrait imaginer d’appréhender la pleine conscience comme une compétence. Une fois acquise, elle favoriserait les qualités intrinsèques des individus en les amenant à se concentrer davantage dans leur tâche. La pleine conscience proposerait d’améliorer les rapports entre les collaborateurs et de développer une meilleure capacité de travail pouvant pacifier les relations organisationnelles.
Des entreprises telles que Google, Intel, Sodexo ont anticipé ce genre d’approches en créant de nouveaux métiers tels que les « Chief happiness officers ». Leurs rôles illustrent parfaitement l’intégration de ces dynamiques au sein de la stratégie de l’entreprise. Pour autant, si la pleine conscience est sans nul doute un véritable moyen sinon une finalité d’apaisement psychique favorisant nos aptitudes, elle reste néanmoins controversée et admet nombre de critiques quant à sa transformation en pratique managériale. Â
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Contradictions et alternatives
La pleine conscience n’est pas la panacée nous rappelle à juste titre le Dr. Adam Grant. Plusieurs éléments peuvent expliquer ce point de vue. Même si les membres du World Economic Forum de Davos et Steve Jobs pratiquaient la méditation, certains détracteurs condamnent une forme de colonisation et d’instrumentalisation du concept perdant ainsi intrinsèquement ses valeurs éthiques et morales. Le modèle exporté, marketé et diffusé est avant tout une lutte contre le stress, améliorant le bien-être et maximisant la performance. Or, si la pleine conscience est certes un moyen efficace d’y parvenir, elle reste difficilement évaluable et admet d’autres substituts.
Bien que les effets physiologiques de l’activité de pleine conscience soient incontestés, des recherches en sciences sociales pointent certaines difficultés d’analyse concernant son utilisation dans l’organisation. Par exemple, les échelles de mesure utilisées ne font pas l’unanimité et celles-ci rendent difficile l’interprétation liée à l’amélioration du bien-être chez l’individu. Avons-nous tous les mêmes besoins, une définition identique du bien-être ? Ces notions semblent abstraites. D’où la complexité de les transformer en indicateurs de performance.
Outre ces bavardages méthodologiques, la pleine conscience pâtit également de la concurrence. Manger plus sainement, faire du sport ou recourir aux cachets pour les plus démunis octroie de très bons résultats sur l’anxiété. Penser au conditionnel plutôt qu’en absolu constitue une technique intéressante pour réduire son taux de cortisol. Transformer les « est » en « peut-être » nous invite également à la créativité, à l’ouverture et à repenser nos modèles et cartes cognitives préétablis. Mais devons-nous nécessairement réduire notre stress ? Des études ont révélé que le stress lorsqu’il n’est pas nocif peut être un réel facteur de motivation et que le supprimer de notre vie n’est pas nécessairement pertinent.
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De plus, la mercantilisation du bonheur à destination d’objectifs stratégiques pose un paradoxe au principe même de la pleine conscience : il s’agit de propulser le développement personnel et les « softs skills » dans une perspective de résultat. Or, l’activité de pleine conscience n’est pas un objectif autarcique à atteindre, attestant d’un niveau ou d’une aptitude supérieure. L’authentique pleine conscience, samma-sati en pali, doit être caractérisée par des attentions saines et positives qui ont pour but l’épanouissement humain pour soi-même comme pour les autres. C’est un voyage libérateur et transformateur. Il ne peut être réduit à des techniques uniformisées et collectivisées scandent certaines critiques. Le passage à l’acte nécessite une volonté personnelle, une conscientisation qui doit être inhérente à l’individu et qui ne peut être imposée sous couvert d’efficacité organisationnelle.
D’autres vont même plus loin et mettent en garde contre les éventuels effets néfastes que peut provoquer la méditation. Cette recherche du « Soi » conduit aussi à augmenter notre sensibilité et nos émotions visant à mieux nous comprendre. Une personne vulnérable ou fragile peut alors se voir sombrer dans une sorte de questionnement intérieur trop fort, soudain, pouvant ébranler sa stabilité. La pleine conscience n’est pas anodine, nous ne sommes pas égaux face aux pertes de contrôle. Elle entraîne des conséquences qu’il convient d’apprécier avant toute transformation générique du concept. Il ne suffit pas uniquement de respirer pour soigner tous les maux, peut-être devrions nous commencer par questionner d’où provient le mal-être ?
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Enfin, instaurer la pleine conscience comme méthode managériale implique de libérer du temps et des espaces aux individus qui souhaitent pratiquer. On comprend alors que cette stratégie repose sur la volonté individuelle, la capacité à mobiliser des ressources et la croyance d’une potentielle amélioration de performance. Pari risqué s’alarment quelques experts. Les « consultants » du bonheur sont certes d’habiles créateurs de solutions et d’ateliers mais attention à l’effet de mode.       Â
Au final, difficile de définir stricto sensu les caractéristiques de la pleine conscience. Celle-ci apparaît néanmoins comme une pratique aux vertus émancipatrices faisant sens dans un monde parfois en quête d’inspiration et de transcendance. Ce qui est évoqué à travers ce concept, c’est avant tout la volonté de lutter contre les effets funestes et contre-productifs du stress et du mal-être au travail. Un message rassurant au vu des évolutions économiques actuelles. Restons cependant vigilants face à la tentation mercantile et à la transformation systématique des concepts holistiques en pratiques managériales.
À méditer.
Joffrey ROLAND
Chargé de recherche emlyon business schoolÂ